if someone asks you if you're a god, you say yes.

Le coeur qui pleure, le coeur qui rit. Maman est ravie, papa sourit. Un bébé, un petit bébé. Des fossettes aux joues, des mains qui battent l'air comme un oiseau, comme une tortue retournée. Petit bébé, avec des grands yeux et des boucles sombres ; petit bébé, avec du rouge partout et des bulles qui explosent. Bébé aimé, bébé voulu, bébé amour. Un, deux, trois. Petits coeurs, petits princes, princesse au milieu. L'amour d'une famille, du rose, du bleu, du vert. Des câlins, des rires. Maman a quitté son pays, sa terre natale, ses livres et sa vie pour de nouvelles choses, pour ses trois anges, ses trois amours. Aucun regret, des bisous sur les nez, chatouilles qui font trembler les côtes. Bulle, hors du temps, rêve parfait. Amour. Espoir.

Une journée au parc. Gamin qui court, onze ans, le regard clair, le rire aux lèvres. Sa soeur en jupette qui galope, le pousse, roule dans l'herbe fraîche. Ses joues sont rouges, ses lèvres brillent de la glace à l'eau qu'ils viennent de manger. Plus loin, sur une couverture, maman et papa discutent en écoutant de la musique grâce à une vieille radio rouillée. Il rit, le gamin, il chatouille sa soeur qui se tortille, cherche à s'échapper, ses petits pieds tapent sur la terre dure. Il rit encore quand une voix lui demande s'il a vu, hey il a vu ? Le regard qu'il tourne, son frère qui lui montre une fleur. Une jolie fleur, banale fleur. L'aîné qui rit. C'est qu'une fleur, James ! Le petit qui, outré, fait demi-tour. Son trésor dans les mains quand il s'éloigne pour en chercher d'autres, pour commencer une collection.
Une collection qui ne verra jamais le jour.
Un van, une silhouette rapide.
Sebastian qui crie quand son frère se débat.
Ses parents qui courent - son père qui se fait assommer.
Crissement de pneus.
Et plus rien.
Le calme malsain et le grand frère qui tremble. Qui tremble si fort. Parce qu'il ne comprend pas tout. Mais qu'une part de lui vient de disparaître dans un van qu'on ne retrouvera jamais.

Ado turbulent, la clope au bec, la colère contre le monde. Cliché, putain de cliché. Moto sous son cul, regard plein de douleur, plein de rage. Sang sur ses phalanges, cicatrices qui ne guérissent que trop lentement. Racaille, jeunesse désabusé. Moqueur et violent alors que son poing s'éclate sur un visage aussi vieux que le sien. Nana qui frotte ses hanches contre les siennes et il crache sur le perdant. Comme un connard, comme un enfoiré. Comme le gamin brisé qu'il est. Depuis une certaine journée d'été, depuis un van, un cri, depuis que sa mère a pas tenu le choc, depuis que son père a à peine attendu pour se trouver une poupée à caser dans son lit. Depuis que sa soeur lui parle plus, depuis qu'il n'a plus rien. Plus rien du tout.
Des lèvres contre son cou, des dents qui mordent sa gorge, le ramènent à la réalité. Il s'en écarte trop souvent. Un grognement, il repousse la chaleur à peine vêtue qui balance ses cheveux en arrière.
Un putain de cliché.
Lève les yeux au ciel l'arrogant qui se casse, qui disparaît.
Vers une vie qu'il n'a plus, vers le néant de son existence.
Vers rien du tout.

Université spécialisée, abandon des classes. Diplôme en poche, une nouvelle vie. Codage dans la tête, des chiffres, des noms, des idées. Souvenirs d'une époque. Fêtes, sexe, amour embrasé. A son doigt, une bague. Fine, brillante, qui le fixe dans la nuit. Hésitation dans son estomac, et pourtant. La date approche, la fin des années folles lui rappellent que le jour j avance. Quand il se perd le soir à danser contre un corps au torse dur, quand il se perd le matin dans le lit d'une autre, quand il regarde dans les yeux de la personne qu'il est sensé aimer et qu'il a peur. Pourtant, la vie est là. Pourtant, il est diplômé et tout s'ouvre à lui. Des boîtes qui se battent pour le signer, des idées plein la tête, des mondes à créer.
Tout est possible.
Tout.
Et rien.
Sourire aux lèvres, il passe les portes.
Le regard vide.

Mariage avorté, fin d'une époque. Libre comme l'air, incapable d'aller au bout. Incapable de signer le pacte qui l'aurait lié. Oubli, abandon. Colère et rancoeur mais peu lui importe. Vie qu'il mène, richesse qui tombe, cadeaux qu'il s'offre. Appartement qu'il paie d'un chèque bien placé, rempli à son goût - les goûts d'un adolescent. Geek, nerd. Statues grandeur nature, figurines, posters, collection inestimable qui ferait rêver tous les amateurs. Luxe qui lui permet de sombrer encore plus, dans les jeux vidéos, dans la solitude de son quotidien. Amis qu'il n'a que peu, soeur qu'il ne voit que rarement. Actif en ligne, l'irl le fatigue. Pourtant, la vie va bien. Au fond de lui résonne la douleur, résonnent les tourments, résonnent les doutes. Résonnent des cris, des pleurs. Résonnent des mois sombres. Une souffrance dans ses yeux qu'il n'arrive pas à effacer. Cachée derrière des sourires, derrière des blagues qui ne font rire que lui.
Long live and prosper.
Survis, chaque jour quelques heures de plus.

Colocation. Plus connue depuis la fac, nouveauté. Amusement de trouver une forme familière dans la cuisine, de voir rouler des muscles sous une peau dorée au réveil. Vieil ami, évadé de prison - libéré pour bonne conduite, condamné à vivre avec un gamin dans un corps d'adulte. Mauvaise blague, le regard qu'il croise avec un sourire moqueur. Dessins qu'ils partagent, avis qu'il lui réclame sans cesse. Détective qu'il suit quand l'ennui le prend, quand il se fait chier à mourir. Théorie du complot qu'il formule avec le plus grand sérieux au milieu des dossiers. Café dont il abuse alors qu'il lit des choses qu'il ne devrait probablement pas lire. Mais qui le saura ?
Nouveauté, aventure.
Quelqu'un qui bouscule son quotidien, qui trompe sa solitude, qui le force à enfiler un pantalon le matin. Anxiété parfois, plus l'habitude, plus le savoir. Coeur qui s'accélère, paumes moites, isolement vers lequel il court quand il s'enferme dans son bureau des heures durant. Puis il ressort, sourit et lui balance un coussin - comme si de rien n'était.
Cassé, parfois.
Hésitant, souvent.
Souriant, toujours.
Pour survivre, un peu plus.